Les expressions "plaisir, bien-être ou bonheur au travail" donnent l'eau à la bouche et contiennent des promesses de paradis où seront accessibles épanouissement et réalisation personnelle, ou professionnelle, on ne sait plus trop. Ma première intention, en prenant la plume de mon clavier, était de vous donner quelques moyens d'atteindre cet état de plaisir/bien-être/bonheur par vous-mêmes, mais je me suis rapidement retrouvée confrontée à LA question essentielle : mais qu'est-ce que c'est?
Le plaisir, le bien-être et le bonheur sont-ils une seule et même chose?
La différence porte-t-elle sur l'intensité du ressenti? Sur la durée? Ou sur la fréquence?
Ou est-ce simplement une question de marketing?

Vous avez votre idée sur la question?

Je vous propose donc de réfléchir avec moi et de tenter d'y voir un peu plus clair.

L'époque où l'on considérait qu'un travail devait obligatoirement être rébarbatif et qu'un travailleur devait en baver sous peine d'être traité de fainéant, de tire-au-flanc... est bien révolu. Aujourd'hui, le travail peut être source de plaisir, il contribue même fortement à notre épanouissement personnel en devenant activité de création.


Et quel que soit le nom que l'on donne au phénomène, comme certaines entreprises ont fini par intégrer le fait qu'un salarié épanoui était plus efficace (donc plus productif), on a vu naître des "entreprises libérées" et apparaître dans de nombreuses start-ups des "Happiness Managers" ou des "Chief Happiness Officers" (CHO), chargés d'assurer des conditions de travail propices au "bonheur" (traduction littérale de "happiness") des collaborateurs.



Le plaisir, le bien-être et le bonheur : des sentiments différents pourtant intimement liés


Quel est le point commun entre l'artisan boulanger , ou ébéniste, qui aime le contact de la matière sous ses doigts, le chef d'équipe qui sait encourager ses collaborateurs, dont les compétences sont reconnues et qui se sent considéré, compris et à sa place, et le professeur ou le producteur bio ou éco-responsable, dont les actions s'inscrivent clairement dans une intention, dans une vision de la société?

Tous ces gens-là se lèvent le matin avec plaisir à l'idée d'aller travailler. Comme le dit mon ami John, propriétaire d'un restaurant après une reconversion réussie : "aujourd'hui, ça me fait plaisir d'aller au boulot".

Comment définir ce plaisir et à quoi il répond exactement, c'est ce que nous allons voir.


Pour la psychologue Michele Larivey, "le plaisir est le nom générique que l'on donne à la satisfaction d'un besoin physique, affectif ou intellectuel. Nous éprouvons du plaisir lorsqu'un besoin est comblé, lorsque nous agissons dans le sens d'une inclination qui nous est propre. Le plaisir est plus ou moins grand ou intense, selon l'importance du besoin ou de la tendance et le degré de satisfaction de ceux-ci."

Le psychologue Abraham Maslow (1908-1970), considéré comme le père de l'approche humaniste, propose une classification hiérarchisée des besoins en partant des principe que les besoins physiologiques tels que boire, manger, dormir... sont les plus fondamentaux car leur satisfaction assure la survie, tout comme certains besoins psychologiques liés à la sécurité.
Les besoins les plus fondamentaux ont, selon lui, préséance sur les autres besoins. Que l'on soit d'accord ou pas avec cette hiérarchisation par ailleurs fort décriée, voici les 5 catégories de besoins proposées par Maslow :

  • Les besoins physiologiques (manger, boire, dormir, etc...)
  • Les besoins de sécurité (stabilité, protection, santé, abri, etc...)
  • Les besoins d'appartenance (amour, amitié réciproques, faire partie d'un groupe)
  • Les besoins d'estime (respect, attention, appréciation et reconnaissance des autres, estime de soi, compétence, liberté d'exprimer ses idées, etc...)
  • Les besoins d'épanouissement (exploitation de son potentiel, recherche d'harmonie, d'évolution, de créativité, etc...)


William Schultz (1902-1998), prix Nobel d'économie 1979, a cherché à identifier les besoins qui poussent les êtres-humains à entrer en relation les uns avec les autres. Il en a identifié 3, présents chez chacun d'entre nous, mais dont l'importance diffère d'une personne à l'autre. Il s'agit :

  • Du besoin d'inclusion (besoin de faire partie d'un groupe, d'être membre reconnu d'une collectivité)
  • Du besoin de contrôle (besoin d'avoir une influence sur les personnes, de modifier son environnement, de pouvoir s'exprimer sur les choses)
  • Du besoin d'affection (besoin d'établir des relations intimes et chaleureuses, d'aimer et d'être aimé)


A vous!!

  • Amusez-vous à chercher les activités qui vous procurent le plus de plaisir, même si elles n'ont aucun lien avec le travail.
  • Définissez le plaisir que chacune vous procure en tant que réponse à un besoin selon les catégories proposées par Maslow et/ou Schultz.


Le plaisir que l'on éprouve au travail peut donc avoir plusieurs origines en fonction des besoins et des inclinations auxquels nous répondons. En le combinant et en le renouvelant, nous nous approchons d'un sentiment agréable, nous nous sentons bien. Le sentiment de bien-être est proche..



Le bien-être au travail, c'est la somme des ingrédients positifs de la santé au travail


Le bien-être au travail n'est pas une spécificité ou une sous-catégorie du bien-être général, il s'agit d'un concept à part entière qui se distingue du plaisir et du bonheur au travail et qui connaît pléthore de définitions. je vous propose celle de Véronique Dagenais-Desmarais, Professeure en Gestion des Ressources Humaines qui a longuement étudié la santé psychologique au travail .

Pour Véronique Dagenais-Desmarais, la santé psychologique au travail comporte des symptômes négatifs qui sont l'anxiété, la déprime, l'isolement ou l'épuisement et qui représentent la détresse psychologique.
La facette positive de la santé psychologique est pour elle ce qui s'appelle le bien-être psychologique.

Dans le modèle qu'elle propose, repris dans cet article de Jordane Creusier (page 13), le bien-être au travail est constitué de 6 composantes :

  • l'actualisation de soi ou le sentiment personnel d'efficacité
  • la satisfaction ressentie lors de l'accomplissement de ses tâches
  • le fait d'avoir des relations épanouissantes avec ses collègues
  • le fait de se sentir considéré par ses collègues
  • le sentiment d'engagement du salarié dans l'entreprise
  • l'adéquation de la personne à l'organisation


Lors de ses travaux consacrés à la modélisation du concept de bien-être au travail, Véronique Dagenais-Desmarais a réalisé un outil de mesure, l'Index of Psychological Well Being al Work (Index du Bien-Etre au Travail, qui comprend 5 dimensions, chaque dimension permettant de mesurer la variation d'une composante par rapport à une autre. Ces dimensions sont :

  • l'adéquation interpersonnelle au travail
  • l'épanouissement au travail
  • le sentiment de compétence au travail
  • la reconnaissance perçue au travail
  • la volonté d'engagement au travail

En y regardant de plus près, on peur remarquer le lien existant entre l'épanouissement ou la reconnaissance, présents dans l'outil de mesure du bien-être, les relations épanouissantes, le fait de se sentir considéré et le sentiment d'efficacité, composantes du bien-être, et la satisfaction du besoin de reconnaissance et d'épanouissement.

Le plaisir et le bien-être au travail seraient donc liés, et le sentiment de bien-être serait provoqué par la satisfaction optimale des besoins, combinés aux composantes évoquées par Véronique Dagenais-Desmarais. Ces besoins sont communs à toutes les personnes, mais leur importance varie d'une personne à l'autre en fonction de son histoire et de son identité, la notion de bien-être devient quelque chose de construit, propre à chacun.



A vous!!

Réfléchissez à votre vision du "bien-être au travail". pour cela :

  • Faites la liste de ses composantes à la manière de Véronique Dagenais-Desmarais
  • Pour chaque composante, donnez un exemple de sa manifestation qui, pour vous, pourrait illustrer ce sentiment. (Par exemple, le fait que l'on vous demande votre avis avant de prendre une décision importante pourrait illustrer votre sentiment de compétence ou de considération).
  • Donnez à chaque composante une valeur de 0 à 20 en fonction de l'importance qu'elle revêt pour vous.



Et le bonheur, alors? Quel rapport avec le plaisir et le bien-être?

Les études qui mentionnent le "bonheur au travail" ne se comptent plus et j'avoue avoir du mal à distinguer le bonheur du bien-être...
Le bonheur serait fortement lié à l'humeur, l'optimisme favoriserait considérablement notre accès au bonheur, tout comme l'humour, l'argent... les trois à la fois, ça marche aussi! Etre heureux serait simplement lié au fait d'éprouver du plaisir dans nos tâches, alors on tournerait en rond?
Il va de soi que chacun peut avoir sa propre vision du bonheur, l'essentiel étant de s'y retrouver.

En ce qui me concerne, ne trouvant pas mo compte dans toutes ces réponses, je me suis adressée à Boris Cyrulnik. La définition du bonheur au travail qu'il propose dans l'interview qu'il a réservée au Nouvel Observateur (n°1939) me séduit énormément car elle a l'avantage de nous transporter et de nous amener à nous projeter, à donner un sens à nos actes et à nous mettre en mouvement.
Que demander de plus?



Condition n°1 : pas de bonheur sans bien-être


D'abord, bien-être et bonheur sont deux choses différentes et pourtant liées. En effet, vous pouvez avoir le sentiment d'être efficace et éprouver une grande satisfaction en accomplissant votre travail, avoir d'excellentes relations avec vos collègues et vous sentir considéré, sans pour autant vous sentir heureux.
Vous pouvez être compétent, reconnu, vous sentir engagé et à votre place dans l'entreprise sans pour autant vous sentir heureux.

Pour Boris Cyrulnik, le bonheur au travail est dans la représentation, c'est le fruit d'une élaboration et on doit le travailler. C'est un devenir, un projet, presque une utopie.

Mais pour être en mesure l'élaborer, de se projeter dans un rêve, il ne faut pas être prisonnier de l'immédiat, c'est à dire être piégé dans une souffrance ou une détresse. C'est la raison pour laquelle les personnes qui vivent un burn out ont d'abord besoin de sortir du piège de leur souffrance pour reconstruire leur identité professionnelle, pour pouvoir savoir ce qu'elle veulent et pour pouvoir s'évaluer à nouveau dans divers contextes professionnels, avant de rêver à un projet professionnel qui les rendra heureuses.

Pour être en mesure d'élaborer un projet, la personne doit se trouver en situation de bien-être psychologique, c'est à dire en bonne santé psychologique au travail.


Le bonheur : une question d'élaboration et de projet


Le fait de se projeter dans l'avenir et d'élaborer un projet est fondateur : cette représentation dans l'avenir produit un sentiment de bonheur que l'on éprouve, lui, dans le réel et dans le présent et qui modifie notre réel : il nous met en mouvement et donne un sens à nos actes et à notre travail.

Le bonheur au travail commence donc dès la naissance de votre projet!

Comment illustrer autrement la notion de bonheur au travail, telle que la définit Boris Cyrulnik, autrement que par cette fable de Charles Péguy?


Vous voyez que le fait de casser des cailloux est le même, mais le sens que chacun attribue à son acte est totalement différent. Ce sens vient de la propre histoire de chacun et rend chaque action unique et précieuse.

Dans les start-ups et les entreprises libérées, le bonheur au travail a son Directeur Général, représenté par le CHO : le Chief Happiness Officer.

CHO : Directeur Général du Bonheur

Le rôle du CHO est de favoriser la cohésion d'équipe, de s'assurer que les collaborateurs se sentent bien dans leur espace de travail et qu'ils ont véritablement une place. Marianne Prigaux, CHO de Morning Up, start-up toulousaine, est chargée de l'accueil et de l'intégration des nouveaux arrivants. Elle encourage aussi les collaborateurs à participer à des conférences à l'extérieur sur leur domaine d'expertise, ce qui valorise le travail et l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. Elle explique que les effets du CHO sont visibles quand les gens sont contents d'aller au travail et quand ils sont fiers de citer l'entreprise pour laquelle ils travaillent.


A vous!!


Réfléchissez à la question suivante : vous êtes-vous déjà investi(e) ou engagé(e) dans un cadre professionnel, civil ou personnel, dans une action ou une cause importante pour vous? Avez-vous déjà ressenti de la fierté à faire partie d'un groupe, d'un collectif, ou à faire une chose spéciale?
Si oui :

  • Quelles étaient précisément les actions que vous effectuiez ?
  • Quelle était votre intention en réalisant ces actions?
  • Quelle valeur, quelle cause, quelle vision du monde vouliez-vous défendre?

Si non :

  • Quelle cause pourrait faire que vous pourriez vous engager?
  • Avec quelle intention?
  • Quelles sont les actions que l'on pourrait associer à cette intention?


Bonheur et sens du travail : l'apanage des entreprises libérées?

Les entreprises libérées comme Morning s'inscrivent dans cette réflexion qui consiste à vouloir mettre en avant le sens du travail et les valeurs communes. Les salariés ont ainsi le sentiment de contribuer à une "oeuvre collective" comme le casseur de cailloux construit sa cathédrale. Le salarié est au service de l'entreprise et l'inverse est aussi vrai : comme l'oeuvre fait grandir l'artiste, l'entreprise se met au service de l'évolution et de épanouissement des salariés. Car quand on a une cathédrale dans la tête... on casse les cailloux différemment!

En ce qui concerne le management, l'encadrement intermédiaire a disparu au profit d'une "innovation collaborative". Pour François Gueuze, consultant RH, "plus qu'un projet enthousiasmant et fédérateur, il faudrait s'interroger quant à une vision de l'entreprise au sein de laquelle la notion de "soumission volontaire" bat son plein. De là à ce que nos partenaires sociaux nous parlent d'une nouvelle forme d'aliénation, pernicieuse et manipulatrice, il n'y a qu'un pas. La censure la plus efficace est, et reste, l'autocensure".


Pour ce qui est du plaisir et du bien-être au travail : n'importe quoi, pourvu que ça mousse!

Dans les entreprises traditionnelles, organiser le bien-être des collaborateurs est une démarche louable, mais l'objectif de rentabilité (ici clairement exprimé) laisse au collaborateur un espace d'expression et une marge de manœuvre relativement réduits. Et si on regarde comment cela se traduit dans certaines entreprises, on observe que certaines mesures, sensées développer le "plaisir au travail", ne sont en réalité que des moments pseudo-festifs-extra-professionnels destinés à développer la soi-disant cohésion d'équipe, ou à faire oublier, l'espace d'une partie de pétanque (si si, je vous assure...), le caractère tyrannique d'un manager dont les primes annuelles dépendent de votre réussite à vous. Le postulat de départ, qui est de dire qu'une souffrance trop grande peut être compensée par un sas de décompression, peut même se retourner cul-par-dessus-tête et considérer que l'exercice de massacre ou de chamboule tout initial sera utilisé en prévention du pétage de plomb.

Defouloir.jpg

Et puisque le collaborateur peut se défouler sur le portrait caricaturé de son manager et le dégommer une fois par semaine, pourquoi limiter la pression exercée sur lui? Le manager peur s'autoriser à repousser les limites sur les membres de son équipe le reste de la semaine et les laisser comme de pauvres chaussettes essorées, puisqu'ils sont sensés avoir déversé leur haine par anticipation ; et s'il leur en reste encore un peu, le défouloir est là pour la purge hebdomadaire.

Pour finir, s'il est de la responsabilité du salarié de donner du sens à son travail, notons que l'entreprise est responsable des conditions de travail et de l'environnement dans lesquels l'employé évolue. Nous avons vu que l'accès à cette quête de sens ne pouvait avoir lieu que si la personne se trouvait dans un environnement propice au sentiment de bien-être.
Donc, à chacun sa responsabilité.


Plaisir, bien-être, bonheur au travail, tout le monde est concerné!



Des exemples personnels vous sont certainement venus à l'esprit au cours de votre lecture et pendant les petits exercices de réflexion. Félicitations, vous avez déjà quelques réponses!

Et si vous désirez pousser cette réflexion plus loin et faire un véritable voyage pour découvrir vos propres paysages de ces trois contrées que sont le plaisir, le bien-être et le bonheur au travail, le coaching est fait pour ça ! Vous pourrez ainsi en étudier les détails et envisager leur transposition dans votre milieu professionnel.

Bonne idée en perspective, vous ne trouvez pas?

Muriel Nottin