Quand j’ai été contactée pour former des salariés sur le thème du feedback, je me suis d’abord demandé à quoi ça pouvait bien servir !! Ok, il y a quelques règles de bases à connaître mais pas de quoi en faire une journée de formation ! Mais bon, comme il faut bien vivre et qu’en plus je suis de nature curieuse, j’ai accepté la mission. Et je dois dire qu’après avoir formé une centaine de participants, j’ai changé d’avis. Je crois maintenant qu’il est particulièrement utile de se former au feedback et si ça vous intéresse, je vais vous expliquer pourquoi…
Se former au feedback pour répondre au fort besoin de reconnaissance
Avant d’être formatrice sur les « Soft Skills », je suis coach et j’accompagne donc des personnes qui traversent des moments de doutes ou de questionnement vis-à-vis de leur travail. Et systématiquement (ou presque), le sujet de la reconnaissance au travail apparaît comme un problème. Et ce n’est pas étonnant. A force de courir après les tâches à réaliser, nous n’avons plus de temps pour se reconnaître mutuellement en tant que personne, une personne qui fait des efforts, qui s’investit, qui s’applique à donner satisfaction. C’est d’ailleurs tout autant le cas dans les autres sphères de nos vies. Donner et recevoir de la reconnaissance suppose de prendre le temps.
Or, le besoin de reconnaissance est un des besoins psychologiques fondamentaux de l’être humain. Sans reconnaissance, nous ne pouvons pas nous développer. A ce sujet, je vous renvoie aux travaux de René Spitz dans les années 1940 sur les bébés en orphelinat et en prison. Eric Berne, lui, parle de « faim de reconnaissance » et je trouve l’image assez juste.
Le feedback est un acte par lequel on donne de la reconnaissance à quelqu’un. C’est un moyen de reconnaître l’existence de l’autre. Il peut passer par la parole, c’est ce à quoi on pense en premier mais aussi par le langage non verbal (ton de la voix, regard,…) ou par un acte (apporter des fleurs, faire un bras d’honneur,…). Toute action qui donne une information sur la manière dont on réagit à ce que fait l’autre est un feedback. Avec cette définition, je vous invite à observer le nombre de feedbacks que vous distribuez à votre insu chaque jour et à compter le nombre de feedbacks positifs et le nombre de feedbacks négatifs que vous accordez. Où penche la balance ?
Se former au feedback, c’est aussi apprendre à en demander. Nous verrons que les français étant plutôt avares en feedbacks, une bonne façon de se « nourrir » est d’aller les chercher. Et dans l’idée de sortir de la dépendance aux autres en matière de reconnaissance au travail, un autre apprentissage utile consiste à prendre l’habitude de s’en donner à soi-même en renversant la balance vers le positif contrairement à l’habitude de la plupart d’entre nous !
Une journée de formation pour un changement de culture
Après discussion avec mes stagiaires, je ne peux que confirmer le stéréotype : notre culture française ne nous porte pas vers le feedback, et encore moins vers le feedback positif. Il faut se rendre compte qu’inscrire une formation feedback dans le plan de formation d’une entreprise est un acte de rébellion face à notre tendance à la grinchosité passive !!
En effet, se former au feedback, c’est accepter de regarder ce qui fonctionne, ce qui va bien, ce qui donne satisfaction. Il ne s’agit pas de tomber dans le biais du survivant qui ne regarde que les réussites sans analyser les échecs, mais de s’autoriser à célébrer les petites victoires et d’apprécier chaque petit pas vers le mieux sans viser la perfection. C’est aussi, pour ceux qui ont cette tendance, se forcer à sortir de la plainte pour chercher des solutions et entrer dans une démarche d’amélioration continue et de développement de son potentiel.
Par ailleurs, au-delà de la culture, j’ai noté plusieurs obstacles au fait de donner du feedback positif que je trouve intéressants à identifier :
- La pudeur : dire que c’est bien et qu’on est content, c’est parler de soi, c’est prendre le risque d’être trop proche de l’interlocuteur,
- Par pudeur pour les autres : on ne veut pas rendre l’autre mal à l’aise, le gêner ou le rendre méfiant,
- Par crainte que l’interlocuteur n’en profite pour nous demander qqch en contrepartie de notre satisfaction,
- Parce qu’on oublie ce qu’on a remarqué de bien et qu’on manque de temps pour le souligner dans l’instant,
- Parce qu’on croit que c’est inadapté sur un lieu de travail : « on n’est pas là pour se remercier du travail fourni, c’est normal ! », « les gens ont besoin de travailler sur leurs points faibles, pas d’entendre leurs points forts »,…
Et vous, qu’est-ce qui vous empêche de donner des feedbacks positifs de manière régulière ?
Maîtriser l’art du feedback pour profiter de l’effet systémique sur les équipes
La notion de feedback est systémique. (cf. travaux de Paul Watzlawick). C’est-à-dire que, d’une manière ou d’une autre, ce que j’envoie me revient. Mais aussi, ce que j’envoie dépend de ce que j’ai reçu. Il n’y a ni début ni fin. Il n’y a que des choix faits à chaque envoie. Et des choix faits à chaque réception. Exercez-vous ce choix ? Ou subissez-vous votre manière naturelle de donner et recevoir du feedback ?
Cette notion de choix est primordiale pour « rentabiliser » une formation feedback et en appliquer les apprentissages dans le quotidien. Ainsi, si vous avez tendance à donner toujours le même type de feedback, il peut être utile d’explorer d’autres modes afin de changer l’équilibre dynamique de vos relations à deux ou en groupe.
En effet, en donnant du feedback, on crée un effet d’encouragement. Soit dans le sens positif, soit dans le sens négatif. L’idée c’est que « l’herbe est plus verte là où on l’arrose. ». Prenons des exemples :
- Si je donne toujours des feedbacks pour recadrer et jamais pour féliciter, au-delà du stress que cela engendre, ceux qui font bien peuvent se sentir délaissés et en manque de reconnaissance. Je peux leur donner l’impression que ce sont ceux qui font mal qui ont toute mon attention, même si elle est négative. Ils risquent alors de développer plus ou moins consciemment des comportements qui vont attirer votre attention. Sur la base de cet effet dans l’éducation des enfants, on constate d’ailleurs que certaines personnes ont appris à ne chercher que des signes de reconnaissance négatifs.
- Si je donne toujours du feedback positif, j’entre dans une logique de renforcement comportemental (cf. B.F. Skinner). La personne encouragée va consolider son comportement attendu et les personnes autour vont apprendre qu’en faisant bien, elles obtiendront la même chose, donc avoir tendance à faire de même. Mais ça peut aussi donner l’impression que le feedback négatif n’a pas sa place et empêcher les personnes de relever les problèmes de se corriger mutuellement.
En feedback (comme en tout ?), le secret est donc dans l’équilibre des types de feedbacks.
Apprendre à donner du feedback parce qu’on ne sait pas faire
Avez-vous reçu des feedbacks pertinents et utiles dans votre vie ? Avez-vous reçu des feedbacks blessants et inutiles ? Où penche la balance ?
La plupart d’entre nous n’a pas appris les règles de base pour construire un feedback pertinent et utile, et nous faisons plus ou moins n’importe quoi quand il s’agit d’en donner, même pour les feedbacks positifs. Pas étonnant que nous nous plaignions d’un manque de reconnaissance !
Sans faire ici le cours sur le sujet, voici quelques questions aidantes à se poser avant de donner un feedback :
1) A qui je le donne ?
Je ne vais pas aborder le feedback de la même façon si je connais mon interlocuteur, si je ne le connais pas, si j’ai un lien hiérarchique avec lui, si je le sais vulnérable, si c’est une grande gueule,... Et au-delà du contenu ou de la forme du feedback, c’est ce que je vais poser avant d’amener mon feedback qui transformera une situation délicate en situation constructive. Il est donc aidant d’identifier d’où je le donne et d’où mon interlocuteur va le recevoir.
2) Quel est mon objectif ?
Je ne vais pas donner le même type de feedback si je veux que la personne continue à faire ce qu’elle fait, si je veux lui faire plaisir, si je veux qu’elle arrête de faire ce qu’elle fait ou si je veux qu’elle modifie la façon dont elle fait ce qu’elle fait. A chaque objectif son type de feedback. Soyez donc attentif à ce que vous voulez obtenir comme résultat avant d’ouvrir la bouche. :) Et il peut même être aidant de l’annoncer en amont.
3) Quand vais-je le donner ?
Je n’obtiens pas le même effet si je donne mon feedback à la volée, entre deux portes ou en réunions devant témoin ou en tête à tête lors d’un rendez-vous ; si je le donne en colère ou au calme ; si je le fais le vendredi soir avant de partir ou le mardi après-midi après le repas ; … Il y a quelques règles élémentaires à respecter pour que le feedback se passe dans de bonnes conditions.
Et la règle numéro 1 est la sincérité ! Combien de stagiaires ont cherché en exercice à maquiller des reproches en remarques positives. C’est une erreur. Arrêtons de nous forcer à dire ce qu’on ne pense pas, il est déjà assez difficile de ne pas dire tout ce qu’on pense sans que ça ne se voit !! Si vous avez un reproche à faire, faites-le ou taisez-vous mais ne déguisez pas vos propos.
4) Comment vais-je le donner ?
Il existe plusieurs outils pour structurer son feedback. Ces outils peuvent être de vraies ressources s’ils sont bien utilisés car ils aident à maintenir le lien à l’autre et à lui donner des éléments d’informations sous une forme qu’il pourra traiter et utiliser. Les personnes qui craignent de blesser l’autre en exprimant leur pensée et hésitent à s’affirmer dans leurs relations apprécient particulièrement ces outils.
Mais d’après ce que j’ai vu, ces outils sont souvent mal compris et donc mal appliqués. Après avoir présenté le feedback sandwich par exemple, plusieurs personnes qui l’avaient déjà vu en formation m’ont dit : « ah d’accord, ça fait beaucoup plus de sens expliqué comme ça ! ». Pourtant, ce n’est pas l’outil en tant que tel qui transforme votre façon de donner du feedback mais le fait d’adopter l’état d’esprit dans lequel il a été conçu.
Enfin, donner des feedbacks pertinents et utiles demande de l’entraînement, beaucoup d’entraînement. Et plus vous en ferez, plus vous pourrez observer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas avec chacun pour devenir encore plus percutant !
Apprendre à recevoir du feedback parce qu’on ne sait pas comment réagir
Un thème sur le feedback qui a eu beaucoup plus de succès que ce que j’imaginais et le fait de recevoir du feedback de la part des autres. Et il a été passionnant de constater que nous n’avons pas tous les mêmes difficultés à ce sujet. Par exemple, certains vont réagir plus fortement à un compliment qu’à une critique. Je me souviens d’un participant qui a beaucoup fait réagir son groupe en expliquant comment le feedback « c’est chouette ! » donné par son chef après la réussite d’un projet couteux en temps et en énergie pour ses membres a résonné violement à ses oreilles et a eu l’effet inverse de celui escompté.
Evidemment, tout feedback reçu résonne différemment selon qui le dit, quand et comment. Mais cette résonnance dépend beaucoup du récepteur ! En ce sens, vous pouvez vous déresponsabiliser d’une partie de la manière dont sont reçus les feedbacks que vous donnez !! En effet, la réception d’un feedback dépend surtout de ce que je vais choisir d’en faire.
En formation, j’aime vous redonner ce choix : allez-vous accepter ce feedback ? le refuser ? faire le tri dans ce qui est dit ? L’idée est de réfléchir à ce que vous allez en faire, à quoi va-t-il vous servir ? Aussi difficile que ça puisse être, vous devez reprendre le pouvoir sur le traitement de cette information qui vous est donnée. Il y a quelques astuces pour savoir recevoir un feedback et en faire éventuellement quelque chose d’utile. Mais l’étape cruciale est celle de cet espace que je me donne pour choisir.
Vous savez maintenant pourquoi je pense finalement qu’il est utile de se former à l’art du feedback. Et si je devais ajouter quelques raisons liées à l’épanouissement au travail, je dirais qu’instaurer une culture du feedback dans une entreprise apporte :
- Une plus grande confiance en soi de chacun des collaborateurs,
- Une plus grande résilience face aux échecs,
- Un goût de l’apprentissage et une volonté de progression,
- Un développement continue des compétences,
- Une meilleure connaissance de soi à travers le regard de l’autre,
- Des relations plus saines et apaisées.
Au plaisir de discuter feedback avec vous,
Annabelle pour Cap Cohérence