Vous pratiquez la photo amateur ? Vous n’osez même pas imaginer pouvoir en vivre ! Même si…il y a bien cette petite voix qui dit « si seulement…, si tu pouvais…, si ça marchait… » Mais très vite une grosse voix tonitruante répond : « N’importe quoi ! Tu n’es pas si doué que ça !! De toute façon, la photo, tout le monde en fait aujourd’hui, … » Et voilà un rêve de plus qui part à la poubelle !

Guillaume KolbPourtant, cette voie professionnelle est bien réaliste ! Pas évidente, pas toute tracée, mais elle fait partie des possibles. Et aujourd’hui, j’accueille Guillaume Kolb, photographe professionnel indépendant, pour échanger sur son parcours.

Quand poursuivre ses rêves ressemble à du saut d’obstacles

Devenir photographe est pour beaucoup un rêve inaccessible. Mais dans votre cas, on peut dire que ce n'est pas un rêve d'enfance. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce qu'il est advenu de votre rêve ?

Mon rêve d'enfant, c'était de devenir musicien professionnel. Ou plus précisément, compositeur. Je me voyais bien faire des concerts, et composer pour de la musique de films. Mais j'avais des bonnes notes en mathématiques et en physique entre autres. Donc personne ne m'a vraiment écouté ni encouragé. On m'a conseillé d'aller en classe prépa, pour me préparer à un métier plus stable et sécurisant.

Je me suis retrouvé à intégrer une école d'ingénieur alors que ça ne faisait pas sens pour moi. Je me sentais emprisonné dans la vie de quelqu'un d'autre ! Alors j'ai intégré le BDE (Bureau des élèves), l'équipe Gala, le Club Mix (dont j'ai été président), et j'ai surtout organisé des soirées, et été DJ et technicien lumière. Cela m'a beaucoup occupé et plu, au moins je me sentais en vie. Passer de la musique en direct pour des centaines de personnes, c'était proche de mon rêve initial.

J'ai aussi joué en concert (guitare ou percussions) avec mon meilleur ami, des compositions et des reprises, dans des écoles ou bars du secteur de Bordeaux. En sortant de mon école d'ingénieur, je suis devenu développeur informatique pendant 2,5 ans.

Mais les rêves étant puissants, il ne vous a pas lâché pour autant et vous avez saisi l'opportunité d'en faire une réalité, n'est-ce pas ?

A 25 ans, je sentais que je n'étais pas sur les bons rails ! Passer des journées entières derrière un écran, à faire la même chose avec les mêmes personnes : ce n'était pas pour moi.

Et alors que j'étais en poste à Marseille, une école de musique a ouvert juste à côté de chez moi. Je l'ai découverte un soir en rentrant chez moi, c'était comme un signe. Ça m'a fait cogiter, je suis allé me renseigner. Et ils allaient recruter une nouvelle promo à la rentrée. J'avais quelques mois pour monter un dossier auprès de la région.

J'étais effrayé mais j'ai demandé une rupture conventionnelle et j'ai postulé. J'ai dû passer une audition, je ne savais pas si je serais pris. Puis j'ai appris que c'était bon, j'allais changer de vie définitivement ! Quitter mon poste d'ingénieur.

Cela dit, malgré tous mes apprentissages pendant un an d'école, je n'étais pas armé pour vivre de la musique tout de suite. (cf. témoignage de Eureka, slameur professionnel, à ce propos) Encore moins de la composition, comme je le souhaitais. Je suis revenu à Paris pour des raisons personnelles, avec l'impression de redémarrer à 0.

Et puis finalement, la vie et ses rebonds vous a mené ailleurs. Que s'est-il passé après ça ?

Je me suis un jour retrouvé sans boulot, célibataire, dans un petit studio proche de Montmartre, sans direction claire. Avec peu de réserves financières, mais beaucoup de stress.

J'ai eu la chance de trouver un emploi à temps partiel d'assistant administratif grâce à mon frère. Je travaillais le matin, puis l'après-midi je faisais de la musique. J'ai composé et enregistré pas mal de morceaux dans mon coin, pour me faire la main. Puis j'ai rencontré une chanteuse avec qui nous avons créé un groupe de compositions. Avec des répétitions pendant des mois, jusqu'à enregistrer une maquette en studio.

Sauf qu'au moment de tout concrétiser, le projet est tombé à l'eau à cause de désaccords. J'ai revendu mes droits pour les compositions communes. Je revenais au point de départ.

La photo comme remède à la mélancolie

Et c'est à ce moment-là que la photo a fait irruption dans votre vie. Pouvez-vous nous raconter comment cette aventure a commencé ?

Pendant ma période difficile où je me sentais déprimé, j'ai testé la photographie. À la base, on m'avait prêté un reflex de la marque Canon, et j'étais impressionné par les possibilités. J'adorais prendre des photos avec mon téléphone, mais la qualité à l'époque était minable. Donc j'ai demandé mon premier reflex le noël suivant.

Et comme j'avais tendance à beaucoup ruminer à cette période, rien ne m'apaisait plus que de me balader à Montmartre en pratiquant la photo de rue. Repérer les belles lumières, les personnes originales, exploiter les ruelles pavées, les escaliers et lampadaires typiques. J'emmenais mon appareil partout, je prenais des portraits de ma famille et mes amis. Et je faisais des reportages pendant des soirées.

Je me suis créé une page Facebook, très timidement (sans montrer ma tête et avec un faux nom). Et j'ai commencé à publier régulièrement, à avoir des retours positifs de mes proches. Jusqu'au jour où on m'a proposé : "Guillaume, tu serais disponible pour faire un reportage sur une soirée de mon entreprise ? C'est rémunéré."

Et là, il y a eu une explosion dans ma tête ! Je n'avais jamais imaginé qu'on pouvait me payer pour ça.

La question de vous lancer officiellement comme photographe indépendant s'est alors posée. Comment avez-vous vécu cette période ?

Oui, après quelques tests concluants et après avoir gagné mes premiers euros avec la photo, il fallait prendre une décision. Est-ce que je dois tout miser là-dessus ? Et arrêter mon activité salariée à temps partiel ?,

C'est à la rentrée suivante, quelques mois plus tard, que je me suis lancé. C'était un saut dans le vide un peu fou, car je n'avais rien d'un entrepreneur. Mon rapport à l'argent était catastrophique. Je confondais chiffre d'affaires et salaire net. Facturer 500€ c'était énorme à mes yeux ! Qui voudrait bien me payer autant ?

J'avais aussi peur que ça ne marche pas, de me sentir honteux ou d'être une mauvaise personne. J'avais été habitué à tout réussir enfant, mais là c'était un autre monde ! Une chose était sûre, en faisant ce que j'aimais, je devrais gagner moins qu'en étant ingénieur. Comme une punition. Parce que le travail n'était plus vraiment un effort, et même souvent un plaisir. Qui ne mérite donc pas d'être rémunéré (croyais-je sans m'en rendre compte).

C'est au bout de 2 ans, en 2019, que j'ai pu vivre à 100% de mon activité de photographe, avec de plus en plus de demandes et de recommandations. Et depuis, je n'ai jamais repris d'activité salariée.

La photo comme métier : comment gagner sa vie en tant que photographe ?

Aujourd'hui, vous vivez confortablement de votre activité de photographe, comment vous y êtes-vous pris ? Y a-t-il des trucs et astuces ?

J'ai bien sûr eu des hauts et des bas. (cf. article "la vie du travailleur indépendant") Après une bonne année en 2019 (alors que j'avais peu de charges), le Covid a tout remis en question. Je faisais surtout des reportages sur des événements, qui ont été interdits du jour au lendemain, et pendant des mois et des mois.

C'est le fait de rebondir et se renouveler qui a été déterminant. À ce moment, j'ai lancé une offre de portraits, en tête à tête. Je gardais même mon masque au début, les rassemblements étaient toujours impossibles. Et j'ai appris à aimer cette façon de photographier mes clients. C'était plus profond, je m'intéressais à eux, on discutait, on organisait une séance sur-mesure. Depuis, j'ai passé d'excellents moments pendant les séances de portraits. Et j'ai affiné ma méthode au fil des années pour des résultats appréciés.

J'ai aussi testé la formation en ligne, avec des programmes en vidéo pour apprendre à maîtriser son appareil photo ou encore les bases de la composition en photo. Le fait d'avoir des offres variées me permettait d'avoir de la demande tout au long de l'année. Certaines plutôt l'été, d'autres l'hiver.

J'ai investi dans plusieurs accompagnements et coachings pour apprendre à aimer le marketing, construire mes offres, créer du contenu. Et surtout, j'ai travaillé mon rapport à l'argent. Accepter de décorréler le temps de travail des résultats. Voir les croyances qui me bloquaient. Jusqu'à découvrir que vendre n'avait rien de mal mais était indispensable pour aider les autres avec notre expertise. Et que l'argent bien utilisé n'a rien de problématique non plus.

Être photographe indépendant, c’est aussi la liberté de travailler différemment

Je crois savoir qu'aujourd'hui votre obsession n'est plus celle de gagner votre salaire, mais de le faire en tenant compte de vos nouvelles priorités de vie et de votre équilibre pro/perso. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui, surtout depuis que je suis devenu papa en mars 2024. Du jour au lendemain, il y avait un bébé à la maison. Avec beaucoup de temps à lui consacrer, des pleurs réguliers, de la fatigue. Sans mode de garde, j'ai vite compris que je n'aurai que quelques heures de travail par jour. Environ 4h en moyenne, au mieux.

J'ai donc arrêté une bonne partie de mes activités, comme la formation en ligne, ou ma newsletter sur la photo. Et je me suis centré sur ma spécialité, les portraits individuels ou d'équipe. En communiquant dans une seule direction, j'ai pu avoir des demandes régulières. Et maintenir un CA rassurant, malgré un temps de travail réduit.

J'ai réalisé que mon temps avait de la valeur, et que je devais refuser tout ce qui n'est pas essentiel. Un tri naturel s'est fait petit à petit. Et la vie m'a soutenu, en m'offrant des projets intéressants et stimulants. Plus que ce que je pouvais imaginer.

Ce qui est important pour moi, c'est d'être présent pour ma fille. La voir grandir m'importe plus que de passer ma vie à travailler. Et c'est comme ça qu'un nouvel équilibre s'est créé au fil de l'année 2024.

Dans ces activités à forte valeur ajoutée, il y a la transmission, elle a toujours été là en toile de fond dans votre parcours. Voulez-vous nous raconter ce que vous envisagez pour la suite ?

C'est vrai que j'adore transmettre ce que j'apprends. Depuis mes débuts en photo, j'ai donné des cours particuliers à Paris. Voir des humains sourire devant de nouvelles possibilités et compétences, ça me rend heureux.

Il y a eu la période formation en ligne, dans le but de toucher plus d'amateurs de photos. J'ai aidé plus de 50 photographes amateurs à progresser dans leur pratique. Et pour 2025, j'ai une nouvelle envie : aider des photographes professionnels en reconversion à "Vivre de la photo à 100%". En commençant par un petit groupe, de 6 personnes idéalement. D'ailleurs, si vous êtes intéressé, il vous suffit de me contacter via mon site ou sur LinkedIn.

Parce que j'en ai fait des erreurs... et j'ai dû me battre contre des croyances qui me tiraient en arrière. Et après plus de 7 ans, j'ai beaucoup à transmettre sur comment s'épanouir et s'autoriser à se faire bien rémunérer. J'aimerais faire gagner du temps à ces photographes, et les amener sur le chemin de la joie et de la sérénité. Car vivre de sa passion, c'est extraordinaire. Surtout quand on ne stresse plus au quotidien.

Je vous souhaite de trouver de chouettes personnes à accompagner en ce sens Guillaume !

Pour terminer, j’ai une petite question subsidiaire tournée vers l'avenir...Comment considérez-vous l'arrivée de l'intelligence artificielle dans le monde de la photo ? Cette IA menace beaucoup de métiers, est-ce le cas du métier de photographe ?

Pour l'instant, je n'ai pas d'avis tranché. Mais ma préférence en photo est le style réaliste. Et à mes yeux, l'IA crée du faux, de l'illusion. Je ne suis pas pour utiliser des images factices pour faire croire n'importe quoi. La photo a une éthique à conserver.

Pour le moment, je ne vois pas comment l'IA pourrait faire un reportage de qualité sur un événement. Ni comment elle pourrait simuler une séance de portraits réalistes. Car elle n'est pas sur place mais virtuelle. Certaines personnes y verront comment baisser les coûts. Mais la photo naturelle prendra peut-être de la valeur. J'ai une approche humaine, et je la conserverai autant que possible.

Merci Guillaume d’avoir pris le temps de partager votre expérience avec nos lecteurs. Je suis sûre que cela va en inspirer plus d’un !

Amis lecteurs, vous l’avez compris, visez la lune, au pire les étoiles vous attendent !! (la bise à Oscar)

Annabelle pour Cap Cohérence